La Bayadère (chorégraphie de Noureev d'après Petipa)
Ballet de l'Opéra National de Paris
Représentations des 17 et 20 mai 2010
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Petite dimension affective particulière pour cette reprise de La Bayadère ; il s’agit du premier ballet que nous ayons jamais vu à l’Opéra de Paris, pendant la saison 1998-1999. À Bastille, deuxième balcon, encore adolescent, peu de souvenirs précis de la chorégraphie, mais une impression tenace de sublime avec cette descente des Ombres et ses arabesques en tutus blancs, dans ces lumières bleutées surnaturelles. Assurément un de nos premiers chocs esthétiques.
Quelle douche froide, donc, avec cette première, dans un Palais Garnier qu’on imaginait, in fine à tort, plus adéquat que Bastille pour accueillir cette production… L’écrin originel paraît presque étriqué pour que les décors – merveilleux jusque dans le grotesque (l’éléphant, le tigre !) – et la mise en espace des figurants rendent pleinement justice à la majesté de la mise en scène. L’éclairage de la scène des Ombres n’est plus bleuté mais verdâtre ; cela n’enlève rien à la qualité de la prestation du corps de ballet, mais la magie du moment en est légèrement ébranlée. Les magnifiques costumes, refaits à neuf, brillent de mille feux, avec juste ce qu’il faut de côté toc et de mauvais goût dans les deux premiers actes.
Quant à ce qui se passe sur scène en ce 17 mai, disons qu’Agnès Letestu et José Martinez ne nous ont que moyennement convaincu. Elle, toujours impériale, l’est probablement trop pour ce rôle, dont elle livre une interprétation peu lisible, restant dans le registre du souverain, dans lequel du reste elle éblouit. Lui a oublié d’interpréter Solor ; on a bien du mal à suivre les évolutions de ses sentiments, lui qui arbore un sourire inextinguible tout au long de la soirée, jusque dans le pas de deux du III. Un jour sans ; c’est bien la première fois que nous voyons José Martinez aussi peu inspiré et aussi piètrement préparé (on en vient à se demander si les libertés qu’il prend avec la chorégraphie ne cachent pas un manque de préparation technique, par ailleurs patent dans les portés). Le comble de cette soirée : on en vient à trouver Émilie Cozette presqu’à la hauteur ; la justesse de son incarnation de Gamzatti, la force de sa pantomime, la musicalité de ses variations impressionnent ce soir-là.
Le réconfort est à trouver autour des rôles secondaires ; le fakir d’Allister Madin est irrésistible (quel investissement du personnage, quel plaisir dans la composition, quel brio dans la danse indienne !), la Manou de Mathilde Froustey pétillante quoiqu’un peu plus sage que ce à quoi cette danseuse nous avait habitué. Mathias Heymann se force pour ne pas trop en faire dans l’Idole dorée ; dommage. Si les trois Ombres sont honnêtes sans être mémorables, le corps de ballet est époustouflant de justesse et de précision dans les placements. Dans le registre pittoresque du I et du II, mais tout particulièrement dans l’acte blanc, c’est un plaisir de tous les instants de voir, depuis une loge de face centrale, évoluer ces ensembles dont la géométrie touche à la perfection. À saluer, surtout pour un soir de reprise !
C’est fou comme une distribution peut changer la physionomie d’une soirée. Le 20 mai, Aurélie Dupont et Nicolas Le Riche, épaulés par une Dorothée Gilbert un peu moins en forme que d’habitude mais quand même, entrainent dans leur sillon l’ensemble des danseurs. Dupont, qui nous avait bien déçu en Giselle, subjugue, sa Nikiya faisant preuve d’un tempérament appuyé face à Gamzatti et face au serpent de la mort (on a l’impression que, jusqu’au bout, elle ne croit pas à l’issue irrémédiable de la morsure). Sous son fond de teint de jouvence, Le Riche est époustouflant de brio (et Martinez ne pâtit que plus encore de la comparaison !!), notamment dans la variation finale du III, et émeut par son Solor qui ne sait pas trop sur quel pied danser. Entre Nikiya et Gamzatti, son cœur balance assurément. Alessio Carbone donne à l’Idole dorée une réelle épaisseur et réalise l’incroyable performance, à nos yeux, de construire un vrai personnage au fur et à mesure que la variation progresse, temps forts alternant avec moments de respiration. Corps de ballet toujours enthousiasmant, quoique le placement dans la salle offre une perspective moins flatteuse que lors de la représentation précédente.
Petite parenthèse de révolte : nous sommes plus sceptique, pour ne pas dire fondamentalement scandalisé, devant l'accompagnement, d'une qualité toujours plus détestable, de l’orchestre Colonne. On peut comprendre que l’orchestre de l’Opéra, trop lourdement sollicité sur d’autres productions pour assurer l’ensemble des représentations, soit mieux employé à jouer Les Contes d’Hoffmann que du Minkus, mais tout de même, comment est-ce diable possible que l’Opéra de Paris continue de faire appel à cet ensemble Colonne, dont le niveau de simple exécution (ne parlons pas ici d’interprétation…) apparaît proprement indigne ; si les cuivres se portent plutôt mieux que lors du dernier Casse-Noisette, il n’est que d’entendre les solos du premier violon, qui arrachent les oreilles (de qui se moque-t-on ?) et vont jusqu’à susciter des murmures d’étonnement du public entier, pour se convaincre que cette formation n’a rien à faire dans cette fosse. Quand donc donnera-t-on leur chance à des ensembles plus jeunes et certainement plus professionnels qui ne demandent qu’à faire leurs preuves ?
Rendons toutefois grâce au chef, qui fait, comme toujours s’agissant de Kevin Rhodes, de son mieux pour essayer d’alléger une partition somme toute peu subtile, quoiqu’on soit un peu étonné de la lenteur de certains passages, qui nuit parfois à la qualité de la prestation des danseurs sur scène.
Quelles que soient les nuances – notre réserve sur l’accompagnement reste pour autant forte –, un bien beau spectacle, qui ravit un public enthousiaste, à raison, et une chose est sure : nous attendons avec impatience, le mot est faible, le Solor de Stéphane Bullion (prise de rôle, non ?), avec une Delphine Moussin que nous découvrirons dans un rôle principal de ballet classique.